Conseil Constitutionnel, QPC, 2 octobre 2020, n° 2020-857


La question prioritaire de constitutionnalité (ci-après « QPC ») transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel le 8 juillet 2020 a été soulevée par une société qui, évincée d’un contrat privé de la commande publique, s’interroge sur la constitutionnalité du texte encadrant les procédures de recours dont elle dispose pour contester la procédure de passation. Le Conseil est chargé d’examiner la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.


Les dispositions visées par les requérants, soit les articles 11 à 20 de l’ordonnance, figurent dans son chapitre II intitulé « recours applicables aux contrats de droit privé de la commande publique ». Pour rappel, les contrats privés de la commande publique sont les contrats qui, bien que soumis au code de la commande publique, ne répondent pas des critères jurisprudentiels de qualification du « contrat administratif ». Est visé le cas où un contrat, exempt de clause exorbitante du droit commun, est passé entre deux personnes morales de droit privé, dont l’une d’elle est soumise à une influence publique au sens de l’article L. 1211-1 du Code de la commande publique.

La société requérante reproche aux dispositions litigieuses de limiter les causes susceptibles d’entraîner la nullité d’un tel contrat après sa conclusion. De ce reproche ressortent deux griefs : l’un tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, l’autre tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi. Si le premier porte simplement sur l’énumération limitative des moyens de nullité, le second se comprend à la lumière du recours ouvert à un candidat qui serait évincé d’un contrat administratif de la commande publique. Le recours « Tarn-et-Garonne »[1] permet en effet à tout candidat évincé d’un contrat administratif de la commande publique d’en contester la validité après sa signature. 

C’est le seul article 16 de l’ordonnance qui semble retenir l’attention du Conseil, la décision précisant, que parmi les dispositions contestées, c’est bien cet article qui « tire les conclusions nécessaires » de la directive du 11 septembre 2007, transposée par l’ordonnance. L’article synthétise en effet les griefs invoqués :

« Est nul tout contrat conclu lorsque aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite.

Est également nul tout contrat conclu en méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique.

Le juge prononce de même la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article 4 ou à l’article 8 ci-dessus si, en outre, deux conditions sont réunies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur du droit d’exercer le recours prévu par les articles 2 et 5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat ».

Partant, l’énumération limitative des causes de nullité d’un contrat privé de la commande publique est-elle inconstitutionnelle ? 

Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil retiendra que, si « les dispositions contestées déterminent limitativement les cas dans lesquels le juge [du référé contractuel] peut prononcer [la] nullité »[2] du contrat privé de la commande publique, c’est dans le but de préserver « la sécurité juridique des relations contractuelles », le législateur ayant « ainsi poursuivi un but d’intérêt général »[3]. Il évoque ensuite la possibilité, ouverte à toute personne ayant intérêt à conclure un contrat privé de la commande publique, d’exercer un référé précontractuel. Cette faculté n’est, selon le juge constitutionnel, aucunement altérée en l’absence d’obligation pour l’acheteur de respecter un délai de stand still (ce qui est le cas en MAPA), les candidats ayant l’opportunité de former un référé précontractuel « dès le rejet de leur offre et jusqu’à la signature du contrat »[4]. Enfin, le Conseil retient que « les dispositions contestées ne font pas obstacle à ce qu’un candidat irrégulièrement évincé exerce, parmi les voies de recours de droit commun, une action en responsabilité contre la personne responsable du manquement dénoncé »[5], pour finalement conclure que les dispositions portées devant lui ne portent pas d’atteinte – disproportionnée – au droit à un recours juridictionnel effectif.

Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel reprend son célèbre considérant, selon lequel « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général »[6]. Après qu’il ait retenu que les contrats administratifs et les contrats privés de la commande publique ne poursuivaient pas les mêmes finalités, le syllogisme le conduit à exclure, là encore, l’existence de l’atteinte invoquée. Ce dernier constituant la seule motivation au rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, « on ne saura rien des raisons pour lesquelles la différence des recours contentieux ouverts aux concurrents évincés peut être considérée comme adéquate et proportionnée au regard, sinon des « régimes » – ce qui serait quelque peu circulaire – du moins des « finalités » de ces contrats, dont il ne paraît d’ailleurs pas évident qu’elles soient si « différentes » de celles des contrats administratifs de la commande publique »[7].

Partant, le Conseil déclare les dispositions contestées conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Par Zoé Bourdeau

Le 14/12/2020


[1] V. décision du Conseil d’Etat n° 358994 du 4 avril 2014, au visa de la décision QPC ici commentée.

[2] Considérant 19

[3] Considérant 21

[4] Considérant 22

[5] Considérant 23

[6] Considérant 25

[7] E. MULLER, Note sous arrêt, « Le régime du référé contractuel à l’encontre des contrats privés de la commande publique n’est pas contraire à la Constitution », La Semaine Juridique Edition Générale n° 46, 9 Novembre 2020, 1p. 259

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