CE, 11 octobre 2021, Société CMEG, n°438872
Par un arrêt du 11 octobre 2021[1], le Conseil d’Etat apporte une précision importante quant aux opérations contentieuses menées entre différents participants à une même opération de travaux publics.
Dans les faits, la commune du Havre et l’établissement public foncier de Normandie (dans le cadre d’un groupement de commandes) ont attribué des marchés de travaux en lots séparés pour la réalisation d’un pôle éducatif et familial au Havre.
Le lot n°2-1 « gros œuvre » a été confié à la société coopérative métropolitaine d’entreprise générale (CMEG) par acte d’engagement le 3 octobre 2012 avec la ville du Havre puis le 17 octobre 2012 avec l’établissement public foncier de Normandie.
La livraison de ce lot, le 17 octobre 2014, intervient six mois après la date initialement prévue par les parties. La société CMEG impute ce retard à l’entreprise Belliard qui, titulaire du lot n°2-2 « charpente », a fait l’objet d’un retard de huit semaines dans sa réalisation.
La société CMEG, estimant que le retard de la société Belliard lui a causé un préjudice financier, a d’abord saisit le tribunal administratif de Rouen qui a rejeté sa demande, comme ensuite la cour administrative d’appel de Douai. Elle se pourvoit alors en cassation pour obtenir l’annulation de l’arrêt de la cour administrative ; le Conseil d’Etat va lui donner raison.
Le Conseil d’Etat estime dans le considérant de principe que « Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat, notamment s’ils ont commis des fautes qui ont contribué à l’inexécution de ses obligations contractuelles à l’égard du maître d’ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l’art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d’un manquement aux stipulations des contrats qu’ils ont conclus avec le maître d’ouvrage. ».
Cette jurisprudence semble alors être une entorse au principe de l’effet relatif des contrats, principe bien établi selon lequel un tiers ne puisse se prévaloir d’une inexécution contractuelle, le contrat liant seulement les parties. En effet, avant cet arrêt, les tiers pouvaient rechercher une responsabilité quasi-délictuelle en invoquant une violation des règles de l’art ou la méconnaissance de dispositions législatives ou règlementaires mais en aucun cas en invoquant des manquements contractuels. En 2011[2], le Conseil d’Etat indiquait en ce sens que « La qualité de tiers au contrat du 27 août 1990 de Mme A… faisait obstacle à ce que cette dernière se prévale d’une inexécution du contrat dans le cadre d’une action en responsabilité quasi-délictuelle ».
Ainsi, cette solution rompt avec la jurisprudence antérieure. Elle permet aux participants à des travaux publics, par exception au principe de l’effet relatif des contrats, d’invoquer des manquements contractuels d’autres participants dans leur contrat conclu avec le maitre d’ouvrage pour rechercher leur responsabilité quasi-délictuelle. La rapporteure publique Mireille LE CORRE[3] justifie cette décision notamment en mettant en avant les liens matériels qui existent entre les différents participants à une même opération de travaux publics.
Aimie Pasquet-Maulinard.
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[1] Conseil d’Etat, 11 octobre 2021, Société CMEG, n°438872
[2] Conseil d’Etat, 11 juillet 2011, Mme Gilles, n° 339409
[3] Conclusions de Mireille LE CORRE