Conseil d’État, 7ème chambre, 15/02/2021, n°445488, inédit au recueil Lebon

Par un arrêt du 15 février 2021, « Commune de Toulon », le Conseil d’Etat revient une nouvelle fois sur la possibilité et les conditions nécessaires à la formation d’un référé-suspension par un candidat évincé. 

S’il est de jurisprudence constante et ancienne qu’un tiers à un contrat administratif puisse introduire un recours en contestation de la validité du contrat lorsqu’il se trouve lésé dans ses intérêts en raison de sa passation ou de ses clauses [1], la suspension de l’exécution d’un contrat par le juge des référés n’est que très exceptionnellement prononcée.

L’affaire opposant la commune de Toulon et la société ALG à la société Omega + constitue une des rares illustrations de suspension. En l’espèce, la commune de Toulon avait concédé l’exploitation de la salle de spectacle du Zénith à la société ALG. Or, la société Omega +, candidate évincée, est venue contester la validité du contrat et demander la suspension de son exécution devant le juge des référés qui accède à sa demande. La commune de Toulon et la société ALG se pourvoient alors devant la haute juridiction afin de demander l’annulation de l’ordonnance. 

Sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative qui prévoit que « quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision », le Conseil d’Etat vient fait droit à la demande de suspension de l’exécution d’un contrat de concession et rappelle les conditions de validité du référé-suspension. 

Ainsi, préalablement à la saisine du juge des référés, le tiers au contrat administratif devra impérativement introduire une action devant le juge du fond en vue de l’annulation du contrat. Un recours en contestation de la validité du contrat doit nécessairement accompagner un référé-suspension.

Afin que la demande de suspension de l’exécution du contrat devant le juge des référés soit valable, il est également essentiel que le contrat soit en cours d’exécution. 

Surtout, la saisine du juge des référés ne pourra prospérer qu’en présence d’une urgence à suspendre l’exécution du contrat. L’urgence étant définie comme ce qui « porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » [2]. Une condition souvent difficile à démontrer. L’urgence a d’ailleurs pu être refusée alors même que le marché attaqué représentait 36,7 % du chiffre d’affaires potentiel d’une entreprise [3]. Pourtant, l’urgence est ici caractérisée dès lors que le chiffre d’affaire de la société Omega + était intégralement subordonné à l’exploitation de salles de spectacles dont elle assurait précédemment la gestion, de sorte qu’elle se voyait largement fragilisée par l’attribution du contrat litigieux à un autre candidat. 

À cette condition d’urgence s’ajoute enfin celle de l’existence d’un doute sérieux quant à la validité du contrat, c’est à dire « un moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de ce contrat et conduire à la cessation de son exécution ou à son annulation » [4]. Ce qui a pu être caractérisé face à un manquement aux obligations de publicité et mise en concurrence par la personne publique, une rupture d’égalité de traitement des candidats, un manquement aux obligations de transparence des procédures. Tel était le cas en l’espèce, le Conseil d’Etat ayant relevé que la commune a « manqué à ses obligations de transparence et de mise en concurrence » et qu’il existait une rupture d’égalité entre les candidats au regard de la méthode d’appréciation des offres par la commune. Deux indicateurs de la présence d’un doute sérieux quant à la validité du contrat, justifiant la suspension du contrat. 

Une vigilance est également portée à ce qu’aucun motif d’intérêt général ne s’oppose à ce que le juge des référés prononce la suspension de l’exécution du contrat litigieux, notamment au regard de la nécessité d’assurer la continuité du service public. Aucun obstacle à la suspension ne pouvait être relevé ici. 

Le juge administratif accède ainsi de manière notable à la demande de suspension du contrat considérant la condition d’urgence comme remplie ainsi que celle relative à un doute sérieux quant à la légalité du contrat. 

Par Maeliss Caredda

Le 12 mars 2021


[1] CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, n°358994

[2] CE, Sect, 29 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n°228815

[3] CE, 19 janvier 2015, n° 385634

[4] CE, 14 octobre 2015, Région Réunion, n°391183

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