C’était une promesse de campagne de la candidate Anne Hidalgo que d’augmenter la capacité des crématoriums parisiens. En juin 2019, le Conseil de Paris avait approuvé un contrat de délégation de service public confiant à la société privée SCF-Funecap la construction d’un « parc funéraire » semi-enterré porte de la Villette (XIXe) pour 2024, la rénovation du crématorium historique du Père-Lachaise (XXe) et l’exploitation de ces deux sites pour une durée de 30 ans. 

Attributaire depuis septembre 2019, la société SCF-Funecap, mastodonte du secteur funéraire, a été choisie par le Conseil de Paris, au détriment de la propre société anonyme d’économie mixte des pompes funèbres (SAEMPF) de la ville de Paris, dont l’offre avait été jugée moins satisfaisante.

Cette décision a été vécue comme un coup violent par les opposants à la « privatisation » de ce crématorium historique, ceux-ci accusent même l’actuelle maire de Paris, Anne Hidalgo, de « marchandiser la mort », estimant que le service public funéraire est trop emblématique et sensible pour être géré par une entreprise privée.

« Privatisation des cendres » ou encore « Mort de la laïcité », les réactions politiques fusent tout azimut dans la presse. En effet, ce contrat implique des polémiques politiques brûlantes qu’il convient de dépoussiérer juridiquement. 

Après avoir délégué la location de vélos, le stationnement et la location de voiture, la Ville de Paris a-t-elle « privatisé les cendres des Parisiens » ? 

En effet, ce n’est pas la première fois que la Ville de Paris cède aux sirènes du secteur privé et les plaies du passé sont encore bien ouvertes : privatiser les profits, hausse des tarifs et une dégradation probable du service. Mais est-il juridiquement possible de parler d’une « privatisation » des crématoriums parisiens ? 

Il est important de préciser ce qu’on entend par privatisation. Il s’agit du transfert de la propriété de la majorité voire de la totalité du capital d’une entreprise du secteur public au secteur privé[1]. Dans ce cas, il s’agit d’un transfert de propriété donc la cession serait irréversible, et la personne publique ne disposerait plus d’aucun contrôle sur l’activité du service public funéraire. 

Toutefois, le transfert de la propriété des crématoriums parisiens n’est pas à l’ordre du jour, car il s’agit bel et bien d’une délégation de service public. D’après la définition donnée dans le code général des collectivités territoriales (article L 1411-1 du CGCT), « une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service. »

En l’espèce, la Ville de Paris entend bien déléguer la gestion du crématorium. Il s’agit d’une délégation de service public concédée à un opérateur pour un ouvrage existant. Concernant le futur parc funéraire, ici, la délégation concerne la création du site et sa gestion. Ce procédé contractuel n’implique pas un transfert de propriété pour l’opérateur, le propriétaire reste la Ville de Paris à l’issue du contrat de 30 ans. L’article L.2223-40 mentionne également que lorsqu’un crématorium fait l’objet d’une délégation de service public, le terrain sur lequel il est implanté et les équipements qu’il comporte font l’objet d’une clause de retour à la commune ou à l’établissement public de coopération intercommunale au terme de la délégation, ce qui semble plutôt bénéfique pour la collectivité. En se basant sur ces éléments, on remarque qu’il n’est pas correct juridiquement de parler de privatisation du service public funéraire.

Mais ce n’est pas le seul reproche qui a pu être fait à l’encontre de ce projet. Ses détracteurs se sont également insurgés contre la potentielle hausse des tarifs pour l’usager et là encore, cela peut être contestable, car l’opérateur ne fait pas ce qu’il souhaite, puisque les tarifs et hausses sont négociés avec la collectivité[2] .

Une nouvelle preuve du déclin du modèle de la SEM 

Depuis juin 1998 [3], le crématorium était géré dans le cadre d’une délégation de service public par la société d’économie mixte dénommée Société anonyme d’économie mixte des pompes funèbres de la Ville de Paris (SAEMPF) . Son capital est détenu majoritairement par le Ville de Paris. La SEM est un mode de gestion garanti aux collectivités locales la prise en compte de l’intérêt général dans les objectifs de l’entreprise. Elle permet le contrôle direct des décisions de la SEM par les collectivités, actionnaires. Toutefois, une des principales difficultés de ce type d’outils réside dans le fait qu’il existe une mise en concurrence dans les relations contractuelles avec les tiers ainsi qu’avec les autres collectivités territoriales. Les SEM restent hors du champ d’application des critères de la « quasi-régie ».

Lors des délibérations concernant l’attribution du contrat de DSP[4], le groupe écologiste du Conseil de Paris avait émis le vœu de transformer la SAEMPF en SPL afin que l’attribution d’une DSP à une SPL dispense la collectivité de passer par une mise en concurrence. Elle se base à juste titre sur l’exemple de changement statutaire de la SETE (Société d’Exploitation de la Tour Eiffel) qui, de SEM (Société d’Économie Mixte) est devenue SPL (Société Publique Locale), ce qui a eu pour effet d’éviter tout risque de confier la DSP attribuant la gestion de la Tour à une société privée éloignée de l’intérêt général.

La menace d’un conflit d’intérêts concernant l’AMO et la société attributaire 

Un recours, examiné par le tribunal administratif de Paris le mardi 19 janvier 2021, porte sur des soupçons de conflit d’intérêts lors de l’appel d’offres de 2018. Danielle Simonnet, requérante et conseillère La France Insoumise à la Ville de Paris, dénonce les liens entre Funecap et le bureau d’études Etec Ingénierie, chargé de conseiller la Ville au titre d’Assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO). De plus, le conseiller écologiste Jérôme Gleize, désormais vice-président du groupe EELV, soulevait d’ailleurs ce même problème lors de la séance du Conseil de Paris du 13 juin 2019[5] . 

Il est important de préciser que l’AMO, par ses conseils, son expertise et ses propositions, aide le maître d’ouvrage à prendre ses décisions, il ne les prend pas à la place du maître d’ouvrage, c’est d’ailleurs ce qu’avance la direction de Funecap dans une interview accordée aux Échos[6] . 

Le tribunal devrait se prononcer sur la régularité de la procédure au début du mois de février.

Par Tristan Peyrieux


[1] Article 2 de la loi du 19 juillet 1993

[2] L’article L.1411-2 du CGCT sur ce point, précise que le contrat de concession, et notamment celui de délégation de service public, « détermine les tarifs à la charge des usagers et précise l’incidence sur ces tarifs des paramètres ou indices qui déterminent leur évolution ». Il revient plus précisément exclusivement à la collectivité délégante de fixer les tarifs et les modalités de leur évolution, le délégataire n’étant pas compétent en la matière (par ex : CAA de Nantes, 3 février 2012, n° 10NT00378).

[3] Historiquement, la loi du 8 janvier 1993 met fin au privilège d’exclusivité des régies communales qui assuraient tout ou partie du service extérieur des pompes funèbres, en aménageant une période transitoire de cinq ans.

[4]  https://elus-paris.eelv.fr/2019/06/05/voeu-pour-envisager-la-transformation-de-la-societe-deconomie-mixte-locale-des-pompes-funebres-de-la-ville-de-paris-saempf-en-societe-publique-locale-spl-operant-a-lechelle-metro/

[5] Voir 2 min 03 de la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=0CwP4PelTtg&feature=emb_title

[6]  https://www.lesechos.fr/2014/12/funecap-et-scf-se-marient-299496


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